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mercredi 7 septembre 2011

TV lobotomie, de Michel Desmurget.



Ce livre, écrit par un chercheur en neurosciences, malgré son titre aguicheur laissant présager le pire, s’appuie sur des références (1193 références dont des livres grand public ne traitant pas directement du sujet, des articles de journaux à grand tirage, d’hebdomadaires, mais avec surtout des références d’articles de revues spécialisées pour chercheurs en neurosciences et médecins). Le style est alerte, acerbe. Le discours est très clair, soutenu par un plan rigoureux.
Après un chapitre consacré à l’état des lieux, c’est-à-dire au temps passé par les enfants devant la télévision et à ce qu’ils y regardent, il explore au travers des trois autres chapitres les méfaits provoqués par la vision de la télévision, s’attachant surtout au public enfantin et adolescent.
Chaque chapitre, très structuré, avec des titres signifiants comme dans les livres des universitaires scientifiques anglo-saxons, comprend une introduction et résume ensuite, dans un paragraphe « pour conclure », l’essentiel de ce qui a été dit. Tout ce qui est affirmé est étayé par des références, scientifiques si nécessaire. Les corrélations mises en évidence sont ensuite discutées pour chercher leur éventuel lien de causalité : il s’agit donc de véritables démonstrations. Après lecture du livre, on est convaincu des effets néfastes provoqués par la télévision, et convaincu que ceux qui minimisent ces effets sont soit cyniques soit incompétents. Le chercheur n’affirme pas bien sûr que seule la télévision est responsable de tous ces maux….
Chapitre 1 : La télé en tout lieu et à toute heure
Les parents n’exercent un contrôle que surtout avant 5-6 ans mais en s’intéressant plutôt au contenu qu’au temps passé (systématiquement minoré). Ils font confiance aux programmes pour enfants, ne s’aperçoivent pas du zapping éventuel et ne savent donc pas ce que leur progéniture regarde vraiment.
Les publicitaires profitent de cette situation et sont aidés en France par les politiques qui n’ont pas voté de textes interdisant la publicité dans ces programmes, comme c’est pourtant le cas dans d’autres pays. Les conséquences sont détaillées dans les différents chapitres.
Enfin, M. Desmurget s’interroge sur la qualité des programmes et pense que la qualité ne peut être au rendez-vous puisque le nombre de chaînes se multiplie et donc aussi les programmes, et que, l’auditoire étant pluriel, il faut toucher un grand nombre : tous ces facteurs rendent très difficile une qualité constante qui serait très onéreuse de plus.
Pour conclure, ce qui est remarquable, c’est que ce ne sont pas les enfants qui originellement réclament le poste mais les adultes qui ancrent son habitude (pour diverses raisons) et ensuite, intrinsèquement inepte, il les rend « accro ».
Chapitre 2 : la télé étouffe l’intelligence
M. Desmurget essaye de montrer que contrairement à ce qui est affirmé, le niveau ne monte pas mais qu’en orthographe, langage, etc., il baisse. Il s’appuie sur les travaux de la DEPP, de D. Manesse, de « Sauver les lettres »…… (voir références sur le site). Cela est inquiétant puisque le langage sert à penser.
Et ils pensent moins..., contrairement à la vulgate, ce n’est pas parce que ce sont des « digital natives » qu’ils utilisent au mieux les possibilités d’internet : des études de la british library ont montré que les jeunes ne savent pas toujours les utiliser car ils ne maîtrisent pas toujours leur langue ni les connecteurs logiques. De plus, leur prétendue possibilité d’effectuer de multiples tâches – « multiskating » en anglais (regarder un film, surfer sur le net, faire un exercice de mathématiques) – est scientifiquement infirmée : le cerveau ne peut pas faire plus de deux tâches à la fois. Il ne les réalise que séquentiellement et une partie des ressources cérébrales est happée par la gestion du « multiskating ». Même avec la télévision en arrière-plan, sans vraiment la regarder, on a montré que la réalisation des devoirs était largement dégradée.
Un énorme travail réalisé dès 1973 dans deux villes canadiennes avec ou sans télé. Pour des raisons géographiques, une ville n’avait pu être connectée à la télévision. Des chercheurs apprenant que la connexion allait être faite ont commencé une étude et ont pu avoir des éléments de comparaison. On a pu mesurer les effets de la télévision sur beaucoup d’aspects, y compris scolaires (acquisition de la lecture…). Ils ont ainsi montré un effet délétère mais d’autant plus grand que le milieu était favorisé.
D’autres études montrent qu’effort, intelligence, lecture, attention, imagination, tous sont frappés par la vision de la télévision. En limitant un rapport précoce à l’écrit, la télévision empêche l’acquisition convenable de la lecture. En conditionnant à l’immédiateté, elle augmente l’impulsivité, diminue les capacités de concentration et l’appétence pour les tâches exigeantes. Or les fonctions d’apprentissage et de mémorisation dépendent de la faculté d’attention. Il y a émergence de troubles attentionnels liés à des formats audiovisuels rapides et développement d’une pensée horizontale alors que les tâches scolaires nécessitent une pensée verticale.
Les chantres de la télévision pour bébés profèrent des mensonges : au lieu de développer le langage, la télévision le limite. En effet, c’est en interagissant avec un locuteur que l’enfant apprend sa langue ou une autre langue et ceci est valable pour les autres activités cérébrales : l’encéphale ne s’organise pas en observant le réel mais en agissant sur lui. De plus le nombre de mots entendus et prononcés avant 3 ans est un indicateur majeur des performances langagières et cognitives, or ce nombre est limité si l’enfant regarde la télévision.
Pour conclure : la télé limite le potentiel de développement d’un enfant. Tous les champs de l’intelligence sont touchés, y compris l’imagination Il existe une corrélation entre sortie sans diplômes et temps passé devant la télé : chaque heure de télévision consommée en semaine au primaire augmente de plus d’un tiers la probabilité de voir l’enfant quitter le système scolaire sans diplômes.
Chapitre 3 : la télé menace la santé
Manger plus, bouger moins
M. Desmurget montre bien que c’est le fait de regarder la télévision qui induit l’obésité et non la causalité inverse. L’influence se fait sentir à long terme sur le poids et elle est liée aux messages publicitaires, à la modification de la prise alimentaire. Il y a un véritable conditionnement par la publicité ou la vision de marques : ces effets sont liés aux images et donc aussi induits par la vision de DVD.
Faire de l’enfant un fumeur ou fermer boutique
Le tabagisme prend sa source dans l’enfance ou l’adolescence. Parmi tous les facteurs qui peuvent conduire un jeune à fumer l’exposition à des images tabagiques dans des films, des séries, des clips musicaux (travaux de l’OMS) n’est pas négligeable.
Il y a pourtant interdiction de la publicité pour le tabac mais l’industrie contourne les lois et fait passer son message via des personnages positifs qui fument dans des films par exemple en s’appuyant sur les bases scientifiques du conditionnement déjà citées.
Boire plus et plus tôt
Bien sûr la télé n’est pas responsable de tout mais elle contribue à l’initiation, au développement et au maintien des conduites alcooliques chez les spectateurs.
Du sexe, du sexe et encore du sexe
Bien que le sexe ne soit pas une pathologie (!), ce n’est pas une pratique anodine en matière de santé : avortements et maladies sexuellement transmissibles en découlent par exemple. Or l’avortement est un facteur de souffrances psychologiques à long terme chez les adolescentes, mais les maternités précoces représentent un facteur de risque non négligeable pour le devenir des mères et de leurs enfants.
Quel est l’effet de la télévision ? Elle véhicule des stéréotypes sexuels et des croyances lourdement préjudiciables en matière de contraception par exemple, elle pousse précocement aux rapports sexuels et elle augmente les risques cités ci-dessus.
Entre Morphée et la Star-Ac, il faut choisir
Sur les trente à cinquante dernières années, la durée de sommeil a diminué de 90 à 120 min. Or les effets du manque de sommeil ont des incidences sur la santé (obésité, diabète, dépression, ...), sur l’accroissement des accidents du travail, sur les difficultés d’apprentissage et de mémorisation, donc sur les difficultés scolaires, et cet effet se manifeste pour un déficit de sommeil peu important : en diminuant seulement de 30 min par nuit la durée de sommeil, les performances intellectuelles se modifient sensiblement.
Le poste dans la chambre d’un enfant réduit encore plus la durée de son sommeil et augmente encore les effets délétères de la télévision.
CHAPITRE 4 : LA TÉLÉ CULTIVE LA PEUR ET LA VIOLENCE
Tout a été dit et il n’y a plus d’études pour cette raison. On a montré que la violence télévisée affecte les attitudes, valeurs et comportements des spectateurs (agression, désensibilisation et peur). Les effets sont mesurables et de longue durée. Le problème actuel est de chercher COMMENT les images violentes altèrent le comportement.
On peut discuter cependant sur le fait que l’effet est fortement significatif et faible : mais à l’échelle du nombre de gens regardant, même si peu sont affectés en pourcentage, cela fait beaucoup en nombre total et donc influera sur les taux de criminalité.
La violence, c’est bon pour les affaires
Un individu soumis à des tensions émotionnelles enregistre mieux les messages qui lui sont imposés et est plus conditionnable : difficile de ne pas penser à la saillie de Patrick Le Lay sur « le temps de cerveau disponible pour Coca cola ». Il doit connaître les travaux des neurosciences !..
La violence appelle la violence
Les chercheurs en neurosciences ont montré que le libre arbitre n’existe pas : nos conduites sont constamment modulées par des facteurs environnementaux. On parle de « Primings », conceptuels environnementaux qui manipulent notre comportement. Des stimuli environnementaux spécifiques, en effet, activent des représentations cérébrales singulières qui activent elles-mêmes en retour des comportements particuliers.
Par exemple, des enfants de 5-6 ans sont plus prompts à pousser, taper et provoquer leurs congénères après vision d’une vidéo violente qu’après vision d’une vidéo neutre.
La violence repousse les frontières de l’inacceptable
Aucun argument scientifique n’est en faveur de la thèse cathartique... Soumis à des images violentes, on devient de plus en plus insensible à la violence.
La violence nourrit la peur
La télévision, en focalisant sur certains évènements au détriment d’autres, nous montre un monde parfois éloigné de la réalité objective et ce monde irréel influence fortement notre perception du monde réel. C’est ainsi que des personnes n’habitant pas dans des villes où règne l’insécurité nourrissent des peurs irraisonnées.

CONCLUSION :
M. Desmurget nous livre quelques recommandations, car des auditeurs lui en demandent toujours après une conférence faite sur ce sujet :
  1. Zéro télé surtout pour les enfants et adolescents, car ils ont des difficultés à maîtriser leur consommation : c’est ce qui est le mieux.
  2. Pas de télé dans la chambre pour enfant et adolescent.
  3. Pendant les 5 premières années : pas de télévision, pas d’arrière plan télévision.
  4. Primaire et collège : pas plus de 3 ou 4 heures par semaine, y compris vidéos !, si on n’a pas suivi le conseil n° 1.
  5. Les adultes majeurs et vaccinés font ce qu’ils veulent mais qu’ils n’oublient pas les risques !

Florence Costa-Chopineau

06/2011



Michel Desmurget a accepté de répondre à nos questions, nous l'en remercions. Si vous souhaitez l'interroger, écrivez-nous.
L'effet des jeux vidéos ne vous semble-t-il pas plus important que celui de la télé ? (sur les contre-performances scolaires donc sur l'attention, la cognition etc...)
      Il m'a semblé difficile de traiter dans un même texte de la télé et des jeux vidéo. En effet, ces derniers ont été largement étudiés depuis plus de 10 ans et la recension de cette littérature demanderait à elle seule un ouvrage. Cela étant dit, les données scientifiques disponibles montrent clairement que les jeux vidéo ont des effets aussi négatifs que la télé (voir même plus négatifs) dans nombre de domaines dont l'attention, la réussite scolaire, l'obésité, l'agressivité, le sommeil, etc. Il est donc effectivement tout à fait nécessaire, j'en conviens, de prêter attention aussi aux jeux vidéos.
      Pourtant, on ne peut pas dire que les enfants/ados passent plus de temps devant les jeux vidéo (ou internet) que devant la télé. S'il n'existe pas en France, à ma connaissance, de données fiables, plusieurs études de grande ampleur ont été publiées aux Etats-Unis (pour la plus récente http://www.kff.org/entmedia/upload/8010.pdf). Dans ce pays, les 8-18 ans passent en moyenne chaque jour 1h15 à jouer aux jeux vidéo et 2h40 à regarder la télé. Si l'on substitue à la notion de télé celle de contenu audiovisuel regardé (sur Tv, ordinateur, téléphone portable ou autres) ce dernier chiffre monte à 4h30. Ce qui est intéressant ici c'est que se sont les individus qui regardent le plus la télé qui jouent aussi le plus aux jeux vidéo. En d'autres termes, ces différentes pratiques ne se compensent pas ; elles se cumulent (et parfois s'entrechoquent — multitasking —). Le temps d'écran est alors pris sur d'autres domaines dont les activités sportives, artistiques ou sociales, les devoirs, la lecture et le sommeil. Ce dernier champ est d'ailleurs particulièrement touché. Enfants et adolescents présentent une dette de sommeil croissante et alarmante dans nos pays dits développés, ce qui affecte aussi bien les fonctions cognitives (attention, apprentissage, mémorisation) que les paramètres sanitaires (immunité, obésité, dépression, etc.).
      Bien sûr les Etats-Unis ne sont pas la France. Les études sur la télé et l'usage d'internet montrent toutefois que les grandes tendances "numériques" sont similaires dans tous les pays développés. Il serait dès lors surprenant que le rapport d'usage entre télé et jeux vidéo soit totalement inversé chez les jeunes français par rapport aux jeunes américains, anglais ou allemands. Evidemment, ce ne sont là que des moyennes. Celles-ci masquent forcément l'existence de larges variabilités interindividuelles. On trouvera toujours dans la population certains ados/enfants qui passent plus de temps face aux jeux vidéo que devant la télé (et d'autres qui ne regardent que la télé sans jamais jouer à un jeu vidéo). Typiquement toutefois, les 8-18 ans passent (encore ?) plus de temps devant la télé que face aux jeux vidéos. MD (06/2011)